Chaque année, le
Tournoi des Maîtres marque en quelque sorte le début de la saison de golf en
Amérique du Nord. Bien que celle-ci soit
démarrée officiellement depuis le mois d’octobre dernier sur le PGA Tour avec une
série de tournois de moindre envergure un peu partout dans le monde, en
Californie, en Arizona et en Floride, ce n’est que lorsque le Tournoi des Maîtres
se met en branle que l’intérêt pour le golf renait réellement. C’est particulièrement le cas ici au Québec,
alors que la neige fond de plus en plus et que les journées allongent
rapidement!
L’intérêt que
suscite le Tournoi des Maîtres vient de plusieurs facteurs : le fait que
ce soit le premier tournoi majeur de la saison, son historique, ses grands
champions et l’aura de mystère qui plane sur ce club de golf mythique et fort
élitiste. Cependant, ce qui stimule à mon avis le plus les golfeurs, c’est le
parcours et toute la beauté et la sérénité qui en émanent. Alors qu’une grande
partie de la population de l’Amérique du Nord range encore ses pelles, ses skis
et ses pneus d’hiver, le spectateur est soumis à des images pittoresques des
plus spectaculaires : des allées vertes et immaculées, une végétation
dense et luxuriante, des arbustes en fleur, des sous-bois clairsemés et
propres, des étangs d’un bleu étincelant. La nature dans toute sa splendeur, et
toute son… artificialité, quoi!
La dernière phrase
en surprendra plusieurs. D’autres, j’en suis certain, ne sont pas dupes par
rapport à la qualité du décor enchanteur qui leur est offert, digne des
meilleures productions hollywoodiennes.
C’est que, effectivement, ce sont les ressources quasi inépuisables dont
dispose ce parcours qui rendent possible ce spectacle à grand déploiement.
Ainsi, malgré toute l’admiration et l’intérêt que suscite le parcours d'Augusta
National avec ses verts diaboliques et ses trous stratégiques, je me dois
cependant d’émettre certaines réserves quant à l’image qu’il projette à travers
le monde depuis des décennies. En tant qu’architecte, je suis autant fasciné
par le parcours, que consterné par les dommages qu’il peut causer à
l’industrie….
En offrant année
après année, un spectacle immaculé sur nos écrans télévisuels, les dirigeants
de ce club mythique ont créé un standard visuel que trop de clubs nord-américains
s’emploient à atteindre pour le bénéfice de leurs membres, et bien souvent, à
leur demande. C’est ce que plusieurs
réfèrent dans l’industrie comme étant
« l’effet Augusta ». Or, le niveau de perfection visiblement
atteint dans l’entretien de ce parcours hors du commun n’est possible qu’avec
un budget d’entretien astronomique et une main-d’œuvre imposante totalement
dédiée à faire de l’endroit le plus beau parcours de golf de la planète lors de
la tenue du tournoi.
Par ailleurs,
plusieurs autres facteurs dont rêvent surement plusieurs surintendants de
parcours contribuent à faciliter la tâche d’entretenir ce parcours hors du
commun. Bien qu’il soit situé dans le sud des États-Unis, le parcours est fermé
à ses membres plusieurs semaines avant le tournoi et une grande partie de l’été
pour y pratiquer un entretien soutenu visant à le protéger des températures
chaudes et humides de la région. Aussi,
les voiturettes n’y sont pas admises et la marche est le seul moyen de
fréquenter le parcours. Que dire également
du fait que, même lorsqu’il est ouvert aux membres, il n’est pas rare de n’y
voir que quelques quatuors par jour.
D’autres facteurs
agronomiques ou reliés à l’entretien ne sont pas à négliger non plus. Plusieurs
verts du parcours sont munis d'un système d’aération souterrain permettant un
contrôle minutieux du drainage, de la température et de l’humidité des
verts. Le parcours entier est également
équipé d’un système d’arrosage offrant une couverture parfaite et complète de
toutes ses installations. Une seule vue à vol d’oiseau du parcours sur Google Maps
en comparaison à ses environs immédiats parviendront à convaincre à quel point
ce système est efficace. Un accès à la machinerie dernier cri et aux meilleurs
gradués des écoles d’agronomie simplifie aussi le travail des responsables du
Club. À Augusta, il n’y a aucun problème de recrutement de main-d’œuvre
qualifiée et motivée, contrairement à la situation de la majorité des clubs de
golf du Québec. Quel surintendant ne rêve pas de telles conditions pour
pratiquer son art?
Un autre élément dont
on discute annuellement en vue du tournoi est la propension du Club à modifier
le parcours pratiquement chaque année en vue de protéger sa réputation face à
l’assaut de golfeurs professionnels de plus en plus puissants et
performants. Aucun trou n’a été épargné
au fil des années. D’ailleurs, la revue Golf Digest a répertorié cette année
l’ensemble des modifications réalisées sur chacun des trous depuis l’ouverture
du Club en 1933. La lecture de ces
données est fascinante et démontre clairement la volonté du Club à lutter
contre les changements technologiques des dernières décennies faisant des
golfeurs de véritables machines. Reconstruction de verts, allongements de trous
continuels, rétrécissements d’allées grâce à la plantation d’arbres matures
modifiant de manière immédiate la largeur des corridors, introduction d’herbe longue
pour ralentir les coups de départ jugés trop longs, etc. Aucune dépense n’est jugée
trop importante et aucune avenue n’est laissée inexplorée pour faire en sorte
que les records des joueurs puissent être préservés, et non pas battus, donnant
ainsi l’impression que le parcours est trop facile. L’achat de terrains
avoisinants est même utilisé pour agrandir le parcours ou améliorer
l’expérience des spectateurs et journaliste lors de la tenue du tournoi. Nul
doute que l’architecte initial du parcours - le grand Alister MacKenzie - se
retournerait surement dans sa tombe devant l’ampleur des modifications
apportées à son œuvre au fil des années. Tellement qu’il ne reconnaîtrait plus
certains trous!
Bien que ce parcours
soit visuellement splendide et fascinant d’un point de vue architectural, il
constitue, à mon humble avis et à plusieurs égards, un exemple à ne pas suivre
en vue de rendre le sport du golf plus accessible et plus en harmonie avec la
nature qui l’entoure. Il est à
l’antithèse de ce que devrait viser l’industrie du golf pour assurer sa survie
à court, moyen et long-terme, soit d’offrir des parcours à l’empreinte
environnementale restreinte, plus simples, accessibles à tous et à un coût
raisonnable. Et que dire des politiques du Club dont le membership a été
longtemps fermé aux femmes et aux minorités visibles? Elles sont encore loin de
contredire les détracteurs du sport qui le considèrent comme rétrograde et d’une
autre époque.
En pourchassant sans
cesse l’idéal de perfection que représente Augusta National, les dirigeants de
parcours de golf d’ici et d’ailleurs se mettent une pression intolérable sur
les épaules. De la même manière, en
exigeant de tels niveaux de conditions de jeu, les golfeurs en général rendent
leur sport de plus en plus dispendieux et élitiste, à son propre détriment. Le
parcours du Augusta National doit donc être apprécié pour ce qu’il est, soit
une vitrine vers un rêve inaccessible, un peu à la manière de l’industrie de la
mode qui nous présente sans cesse ses icônes d’une beauté parfaite et intemporelle
auxquelles peu de gens peuvent réellement aspirer.
À partir du moment
qu’on devient conscient de ce fait, ce parcours mythique peut être apprécié
d’un nouvel angle. Ceci étant dit, malgré mes opinions partagées sur le Club et
son parcours, je serai au rendez-vous au cours du weekend qui vient, car ce
tournoi est unique à l’échelle planétaire et toujours riche en émotions et
rebondissements.
Mais de grâce, je
vous en prie, la prochaine fois que vous croiserez votre surintendant et son
équipe, remerciez-les donc chaleureusement pour les miracles qu’ils réussissent
à accomplir année après année avec des budgets souvent décroissants et des
changements climatiques déstabilisants, au lieu de leur demander quand votre
parcours aura l’air d’Augusta National.
Ils vous en seront sans doute très reconnaissants!
Pour un article intéressant
sur la tentative du Club d’acheter un terrain voisin au parcours : Cliquez-ici.
Pour un article sur tous les
changements sur le parcours depuis son ouverture : Cliquez-ici.
Yannick Pilon Golf ©
2017