mercredi 6 avril 2016

Augusta National Golf Club

Hôte du premier tournoi majeur de l’année.
(Cliquer ici pour lire une version abrégée de cet article sur le site de Golf Martial Lapointe)
Bobby Jones: À l'origine du chef-d’œuvre
La journée où Bobby Jones a décidé de se faire construire un terrain de golf, tout le monde était derrière lui. Après sa miraculeuse carrière, il pouvait bien construire le terrain de golf au style qu'il désirait; après tout, il était le meilleur golfeur au monde. Le monde entier se serait déplacé pour venir y jouer, peu importe la qualité. Par contre, Bobby Jones eut la bonne idée de faire appel à un architecte pour l'aider dans ses plans.
En huit ans de carrière, Bobby Jones gagna plus de soixante pourcent des championnats nationaux auxquels il participa, c'est à dire treize. En 1930, à l'âge de vingt-huit ans, il se retira de la compétition après avoir gagné, la même année, les championnats professionnels et amateur des États-Unis et de l'Angleterre. C'était là un fait tellement au-delà de l'imagination qu'on ne lui donna un nom que quelques mois plus tard: le "Grand Slam" du golf, qui prend son origine dans le bridge, jeu populaire à l'époque.
La retraite de Bobby Jones laissa ses fans en suspens. En effet, son talent était maintenant reconnu mondialement et plusieurs espéraient le revoir jouer. Malgré cela, Jones refusa de participer aux plus grands tournois, préférant ainsi s'attaquer à son rêve. Ce rêve, ce fut le Augusta National Golf Club, le terrain de golf le plus fameux des États-Unis, possiblement le meilleur, et pour une certaine période à chaque année, le plus bel endroit de golf dans le monde entier.

L'architecte qu'il avait choisi pour l'aider à accomplir son rêve était nul autre que l'écossais Alister Mackenzie qui venait de concevoir un des chefs-d’œuvre de l'époque, le Cypress Point Club à Pebble Beach, en Californie. Mackenzie était un médecin de l'armée anglaise qui laissa peu à peu sa pratique pour travailler à temps plein en architecture de golf. En 1914, il remporta le concours du magazine Country life pour le meilleur design d'une normale 4 devant être construite au Lido Golf Club à Long Island, New York. Cette compétition lui amena beaucoup de publicité des deux côtés de l'Atlantique et contribua à le faire connaître dans le monde entier.
Lors de ses missions durant la guerre des Boers, Mackenzie observa que l'architecture de golf, comme le camouflage, dépendait de la manière que l'on utilisait les éléments naturels à leur avantage et de la manière qu'on les recréait, c'est à dire le plus fidèlement possible. Il utilisa par la suite ses propres principes d'architecture pour la planification du parcours de Cypress Point. C'est ce parcours qui attira l'attention de Bobby Jones qui cherchait alors un architecte pour l'aider à la conception de son parcours de rêve.
En Mackenzie, Jones n'aurait pas pu trouver meilleur partenaire pour son aventure, en particulier pour la parcelle de terre qu'il avait choisie pour établir son parcours. Celle-ci était située sur des collines plantées d'arbres fruitiers et de fleurs; le genre de scène qu'un autre architecte aurait ruiné pour construire un bon trou, ou à l'opposé, l'aurait préservée en y construisant un mauvais trou. Le talent d'Alister Mackenzie pour conserver les aspects naturels d'un terrain avait d'ailleurs été montré au spectaculaire Cypress Point Club. Il était donc très prometteur de voir un architecte capable de tailler un parcours dans les endroits les plus spectaculaires, joindre son talent à celui du meilleur joueur de l'époque, disposé à le renseigner sur les aspects plus stratégiques du jeu.
Historique du club
Comme la plupart des meilleurs terrains de golf aux États-Unis, le Augusta National n'est pas situé dans un grand centre métropolitain. En effet, la ville d'Augusta en Georgie est principalement une ville historique réputée pour le Cotton Exchange et ses attraits sur les rives de la rivière Savannah. Bobby Jones, originaire d'Atlanta, venait y passer ses vacances et c'est en cet endroit qu'il rencontra sa femme ainsi que Clifford Roberts, un homme d'affaires new-yorkais.
Peu après sa retraite, Jones exprima à Clifford Roberts son désir de fonder un club de golf où ses amis et lui pourraient se retrouver pour jouer ensemble. Roberts, qui avait la bonne habitude de savoir quand acheter et quand vendre les choses, avait entendu parler d'une pépinière reconnue à vendre dans la région d'Augusta. Celle-ci avait-été la propriété de la famille du baron belge, Louis Édouard Mathieu Berkmans, depuis plus de trois quarts de siècle. Le fils de ce dernier, Prosper, était d'ailleurs un horticulteur reconnu pour avoir, entre autres, popularisé la culture des azalées dans le sud des États-Unis. Cet endroit était presque parfait pour le projet de Jones. Il possédait les collines que le golfeur voulait pour capturer l'esprit, et non le copier, des fameux « Links » des îles britanniques. En plus de cet atout majeur, le terrain possédait une flore extrêmement diversifiée de même qu'une bonne quantité d'arbres majestueux entre lesquels on pourrait faire circuler les trous. Le tout, dominé par une colline sur laquelle se trouvait un hôtel datant d'avant la guerre civile américaine. Bobby Jones ne chercha plus, il avait trouvé ce qu'il recherchait.
Ainsi, le rêve de Jones commença à prendre forme en juin 1931 lorsque lui et ses amis achetèrent la propriété que l'on nommait alors "The Fruitlands". Par contre le financement se fit difficilement; depuis le crash de 1929 à la bourse de New-York, les terrains de golf fermaient en grand nombre et l'ouverture de nouveaux parcours semblait risquée pour les investisseurs. Mais Bobby Jones était tenace. Pour l'aider dans son projet, il rechercha l'aide d'un architecte. Même si durant cette période, Donald Ross était reconnu pour ses parcours de championnats tel Pinehurst #2 en Caroline du Nord, il était évident pour Jones que Mackenzie serait son architecte.
Après plusieurs discussions, on s'entendit pour créer un parcours qui plairait au plus grand nombre de joueurs, peu importe leur habileté au jeu. Ensuite, Mackenzie fit les plans de base pour l'agencement des trous sur le parcours. Durant le stage de la conception du parcours, Jones contribua au design en effectuant un nombre incalculable de coups de toutes sortes, prenant en note tous les résultats pour ensuite modifier les verts et les allées en conséquence. En 1932, Mackenzie vint faire une dernière inspection du site avant que celui-ci soit ensemencé et il déclara: "Augusta National represented my best opportunity and, I believe, my finest achievement." Malheureusement, il n'eut jamais la chance de voir le résultat final. Après un voyage en Écosse en 1933, il revint malade à sa demeure de Californie où il mourût en janvier 1934.
Peu après l'ouverture, Roberts proposa que le club invente un tournoi pour que les meilleurs joueurs se côtoient. Il proposa de l'appeler "The Masters Tournament".  Jones aima l'idée mais détesta le nom, le jugeant trop présomptueux. C'est donc ainsi que l'on tînt, en 1934, le premier "Augusta National Invitation Tournament". Ce nom ne dura pas les quatre jours que durèrent le tournoi; les journalistes ayant eu vent du nom "Masters", ils décidèrent de l'adopter.
Sous la présidence de Clifford Roberts, le Masters est vite devenu un des meilleurs tournois de golf au monde. À chaque année, des innovations ont fait qu'un passage à Augusta était un des moments les plus attendus de la part des spectateurs, des journalistes, et des compétiteurs. Des panneaux d'affichage des meneurs, des endroits privilégiés pour les spectateurs, des « marshalls » avec des uniformes, des espaces de stationnements gratuits et des rafraîchissements à prix abordables, tous ces éléments sont devenus des marques de commerce du Masters, tout comme la tradition du veston vert remis au gagnant de la classique à chaque année.
L'élément le plus important qui contribua à élever le Masters au sommet des tournois de golf professionnels est sans aucun doute le parcours. Durant les cinquante dernières années, le club de golf Augusta National a été modifié à plusieurs reprises; quelquefois de grosses modifications, d'autres fois minimes, mais fondamentalement, il est demeuré le test que Bobby Jones et Alister Mackenzie ont créé. Un test superbement stratégique qui est probablement encore aujourd'hui l’un des parcours qui fait le plus appel à l'intelligence d'un joueur de ce côté-ci de l'atlantique.
Les principes de design du parcours
Qu'est ce qui fait du parcours d’Augusta National un parcours si fameux? Le principal attrait est probablement le fait qu'il est extrêmement stratégique. Un des moins évidents à négocier parmi les parcours de championnats d'Amérique, égalé uniquement, peut-être, par le « Old Course » à St-Andrews.
Comme tous les bons terrains de golf, Augusta National doit être joué mentalement à partir du vert jusqu'au tertre de départ avant qu'un seul coup soit effectué. Comme les verts sont si rapides, trois coups roulés sont souvent réalisables, peu importe le placement du drapeau sur ceux-ci. La force d'un coup dirigé vers le vert doit être bien jugée et la direction parfaite, sinon, la balle fera des bons inattendus et s'éloignera peut-être du drapeau, faisant ainsi de trois coups roulés, une réalité bien présente. S'approcher le plus près possible du trou n'étant pas toujours ce qu'il y a de plus facile pour obtenir une normale mais souvent la meilleur manière, l'angle d'approche au vert prend alors une grande importance. Le joueur se doit alors de placer judicieusement sa balle dans l'allée; fait qui n'est pas nécessairement facile quand celles-ci sont parfois immensément larges et dépourvues d'obstacles. Ainsi, pour une des premières fois dans l'histoire du golf, les golfeurs font face à un grand challenge: pour bien jouer, chaque coup doit être parfait.
Cela se traduit de plusieurs manières au Augusta National. Un coup en plein centre de l'allée n'est peut-être pas parfait, aussi étrange que cela puisse paraître. En effet, à chaque trou, la stratégie est différente; la balle doit être placée en certains endroits stratégiques pour permettre les opportunités au golfeur.
Deux parties bien différentes
Un des plus grands clichés du golf est celui qui dicte que "Le Masters commence sur le deuxième neuf  le dimanche après-midi." Il est vrai que le tournoi se termine sur neuf  trous excitants, mais ce cliché a contribué à mettre dans l'ombre les neufs premiers trous du chef-d’œuvre de Jones et Mackenzie. Le Masters est le seul tournoi majeur à se dérouler, année après année, sur le même parcours. Pourtant, le premier neuf est inconnu de la plupart des spectateurs de la télévision. Toutefois, cela n'aurait pas été le cas si Bobby Jones n'avait pas inversé les deux neufs à l'aube du tournoi. En effet, lors du premier Masters, les participants commençaient leurs rondes sur le dixième trou et finissaient sur le vert du présent neuvième. Heureusement, l'expérience ne dura qu'un an; Bobby Jones réalisant que les trous onze, douze et treize, prénommés "Amen Corner", présentaient un attrait qui méritait d'être retrouvé dans le deuxième neuf, et non au début du parcours. Son intuition lui disait que la décision de tenter d'atteindre les normales cinq (au treizième et quinzième trou) en deux longs coups au-dessus de l'eau devrait être confrontée à la fin d'une ronde, où la tension est à son comble. Enfin, il désirait de plus un dix-huitième trou nécessitant un long deuxième coup plutôt que le petit coup d'approche que nécessitait le neuvième trou. Pourtant, dans les faits, le premier neuf d'aujourd'hui est plus difficile que son successeur.
Sur la carte de pointage, les deux neufs semblent pourtant être en parfait équilibre: tous les deux avec une normale de 36, deux normales trois, deux normales cinq et cinq normales quatre. Le premier neuf mesure 3725 verges, le deuxième, 3710 verges. Mais la carte peut être trompeuse. Il n'y a pas d'obstacles d'eau en jeu sur les neuf premiers trous tandis que sur les neuf derniers, rivières et étangs menacent le golfeur sur cinq trous. Pourtant, le premier neuf, quoi que moins spectaculaire, n'en est pas moins difficile.
Un nombre de principes fondamentaux de design ont été appliqués dans l'élaboration du premier neuf. Les trous changent constamment de direction, exposant le joueur à des vents venant de tous les côtés. Chaque trou est suivi d'un trou de normale différente (4-5-4-3-4-3-4-5-4) et le mélange est bien balancé: deux normales trois (une longue et une courte), deux normales cinq (les deux atteignables avec deux bons coups), et cinq normales quatre (une courtes, deux raisonnablement longues et une très longue).
Le deuxième neuf propose un tout autre caractère. À chaque année, c'est à cet endroit que tout se joue. Plus facile que le premier, le deuxième neuf peut néanmoins causer un tort certain à quiconque le prend à la légère. Avec ses deux normales trois diaboliques, deux normales cinq à couper le souffle et une série de normales quatre stratégiques, cette partie du parcours est la plus célèbre des États-Unis. C'est pourquoi la plupart de ses trous seront étudiés plus en détail dans la prochaine partie.
Les éléments du design
"The Augusta National is a golf club that looks as if it dropped out of heaven" Un journaliste, Grand Slam Golf, 1991
Les verts: un cauchemar bien réel
Il n'y a pas un endroit au monde où la précision est plus importante qu'à Augusta. À cause que ses larges verts sont extrêmement rapides et offrent énormément de changements de niveaux, les cibles sont beaucoup plus petites que ce que l'on pourrait croire. En plusieurs cas, et spécialement pour les placements de drapeaux les plus difficiles, les cibles à atteindre pour avoir une chance raisonnable de birdies sont  d'environ trente pieds carrés. Même pour les meilleurs joueurs au monde, cela est petit. Tellement petit qu'en 1994, plusieurs joueurs se sont plaint que certaines positions de drapeaux étaient injouables. Voyons voir comment cela se traduit sur le quatorzième trou.
Le vert du quatorzième est certainement le plus craint de tout le parcours. Sa grande difficulté réside dans le fait qu'il soit construit dans une pente abrupte de gauche à droite créant ainsi une série de trois plateaux situés au fond du vert. Ces plateaux sont de plus protégés par une pente descendante vers l'allée où les balles peuvent prendre tellement de vitesse qu'elles y redescendent. La position du drapeau la plus difficile est celle au fond, en haut à gauche sur le plateau supérieur qui se trouve à être une butte au sommet aplati. Ainsi toute balle frappée avec la moindre erreur est confrontée à se retrouver très loin du drapeau, quand ce n'est pas hors du vert, à proprement parler. À chaque année, plusieurs espoirs sont brisés par ce vert qui fait peur aux meilleurs joueurs au monde. Pourtant, ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres, tous les verts à Augusta étant reconnus comme étant parmi les plus difficiles à négocier au monde.
Les ondulations: les hauts et les bas du Augusta National
La plus grande surprise des joueurs lorsqu'ils se présentent pour la première fois à Augusta se situe au niveau de la topographie. En effet, sur le parcours, tout est en pente. Il est d'ailleurs tellement en pente que jouer sa balle sur la mauvaise partie de l'allée peut parfois résulter en une différence de quatre bâtons pour le coup suivant. Entre le chalet et le vert du douzième trou, il y a une différence de niveau de 165 pieds, soit l'équivalent de seize étages. De telles ondulations ne feraient pas sourciller un skieur, mais pour un golfeur, par contre, c'est du sérieux. Sur chaque trou, le joueur est confronté à toutes sortes de coups différents à cause des pentes qui jalonnent le parcours d'un bout à l'autre. Le meilleur exemple est sans aucun doute le dixième trou. D'une longueur de 495 verges, cette normale 4 offre une descente de 100 pieds entre le tertre de départ et le devant du vert. L'allée est en pente continuelle vers le vert mais elle se divise en deux parties à 235 verges du départ: à gauche, la pente devient plus abrupte jusqu'à un endroit plus plat tandis qu'à droite, elle reste constante jusqu'au vert. Ainsi, le joueur qui parvient à placer sa balle du côté gauche peut faire tomber sa balle dans la pente abrupte pour la faire rouler plus longtemps et ainsi se retrouver avec un deuxième coup beaucoup plus court vers le vert.
L'eau: la différence entre le héros et le perdant
L'eau n'est pas présente en grande quantité mais elle influence certainement la stratégie du parcours sur le deuxième neuf. Présente sur cinq trous, elle est à l'origine de plusieurs malheurs chez les golfeurs. Elle sera traitée en détail pour les trous 11, 12 et 13 mais elle est aussi bien présente au seizième trou.
Le seizième a été complétement transformé en 1947 lorsqu'on demanda à Robert Trent Jones de le redessiner. D'une normale 3 de 120 verges au-dessus d'un ruisseau, on le transforma en normale 3 de 170 verges au-dessus d'un étang. Aujourd'hui avec le vert en pente descendante vers l'étang, le joueur doit non seulement éviter l'eau sur son coup de départ, il doit aussi en tenir compte si sa balle a le malheur de se retrouver  au sommet de cette pente. Celle-ci est si forte qu'un coup mal exécuté risque de rouler jusqu'à l'eau.
Les fosses de sable: la qualité et non la quantité
Le parcours du Augusta National ne possède que 45 fosses de sable, ce qui est relativement peu pour un parcours de championnat. (Par opposition, le parcours anglais Royal Lytham & St Annes, hôte de huit prestigieux British Open, possède plus de 220 fosses de sables....) Toutefois, Alister Mackenzie savait bien les utiliser pour intimider les joueurs et les forcer à bien négocier le parcours.
Cette intimidation commence d'ailleurs dès le premier trou, une normale 4 de 400 verges protégée de deux immenses fosses de sable. La première, située du côté droit de l'allée, force tous les joueurs, sauf les plus gros cogneurs, à jouer leur coup de départ du côté gauche de l'allée. Mais cette prévoyance est pénalisée: le joueur doit ensuite frapper sa balle par-dessus l'autre trappe située du côté gauche du petit vert, perché sur le point le plus haut de la propriété. Le septième trou est aussi bien protégé avec ses cinq fosses qui protègent le petit vert surélevé.
De plus, on n'hésite pas à ajouter des éléments sur le parcours lorsque la situation l'exige. En 1966, on ajouta deux fosses à gauche de l'allée au dix-huitième, un monstre de 405 verges dans une pente ascendante d'un bout à l'autre. Cette idée vint de Clifford Roberts qui avait pour but de stopper le jeune Jack Nicklaus avec ses coups de départs très longs pour l'époque. L'addition des fosses permit de réduire la largeur de l'allée à 30 verges et contribua à réduire les ardeurs des joueurs qui choisissent maintenant d'opter pour la précision par rapport à la puissance. Plusieurs changements de ce type ont d’ailleurs été mis en place depuis la première victoire de Tiger Woods sur le parcours en 1998, alors qu’il avait pulvérisé la compétition avec douze coups d’avance sur son plus proche poursuivant!
La végétation: le charme de l'endroit
Le fait que le parcours du Augusta National ait été construit sur une ancienne pépinière contribue à l'immense variété horticole de l'endroit. Depuis son ouverture officielle, les arbres majestueux n'ont cessé de se développer pour produire un des plus beaux endroits en Amérique. Cette variété se retrouve d'ailleurs sur la carte de pointage des joueurs. En effet, chaque trou possède un nom caractéristique qui l'identifie à l'espèce végétale qui l'entoure. Le meilleur exemple est représenté par le treizième trou, surnommé « Azalea », qui en avril, lors de la présentation du Masters, est entièrement fleuri.
Le parcours du Augusta National a longtemps été reconnu pour ses allées extrêmement larges et dépourvues d'obstacles; bien que ce ne soit plus le cas depuis quelques années, le septième trou a toujours fait exception à la règle. Autrefois court mais aujourd’hui d'une longueur de 450 verges, l’allée de ce trou est bordée d'arbres immenses pénalisant tous les coups sauf les meilleurs pour ensuite monter jusqu'au vert, d'à peine quinze verges de profondeur et entouré de caverneuses fosses de sable. La végétation possède donc deux fonctions à Augusta: la décoration et l'intimidation.

Stratégie: Le “Amen Corner”
Le point tournant à Augusta, où tout semble se jouer à chaque année lors du Masters, est situé au début du deuxième neuf, plus particulièrement les trous onze, douze et treize, communément appelés "The Amen Corner". Ces trois trous sont parmi les plus beaux et les plus stratégiques au monde. Ils peuvent aisément faire la différence entre la gloire d'un golfeur, ou sa déchéance, son effondrement.
Le tout commence au onzième trou, une longue normale 4 de 505 verges. Le coup de départ se fait en montant sur un plateau surélevé et encadré d'immenses arbres. L'allée plonge alors vers un grand vert protégé à l'avant gauche par un petit étang. Le vert est en pente vers l'étang et il est protégé par deux petites fosses de sable situées à l'arrière. De plus, à la droite du vert, on retrouve deux bosses qui empêchent les joueurs de faire des coups d'approches du type "bump-and-run". La stratégie à adopter pour le trou dépend en tout point de la position du drapeau sur le vert. Si le drapeau est au fond à gauche, derrière l'étang, le coup de départ doit être placé à droite de l'allée pour favoriser l'entrée au vert sans avoir à affronter l'eau. Si au contraire, il est à l'avant droite du vert, le coup de départ doit être placé à gauche de l'allée pour éliminer les bosses du jeu. Un coup de départ raté ne signifie pas la fin du monde, mais il sera sans doute la source de nombreux problèmes au coup suivant.
Le douzième trou, est selon Jack Nicklaus, le plus grand golfeur de tous les temps, le trou le plus difficile qu'il ait eu à affronter dans un tournoi. Cette petite normale trois de 155 verges cause à chaque année le désespoir de plusieurs golfeurs, ainsi que des scores s'élevant jusqu'à treize coups dans le cas de Tom Weiskopf, en 1982. Inutile de dire que c'est une menace. Premièrement, le Rae's Creek entre en jeu, protégeant le devant entier du minuscule vert profond d'à peine vingt-sept pieds. Trois trappes de sable viennent aussi protéger le vert, en pente abrupte vers la rivière. Et enfin, le dernier obstacle mais non le moindre, le vent. Celui-ci change constamment de direction et produit des effets bizarres sur la balle lorsqu'elle s'envole à travers la plaine ouverte de gazon la séparant du vert. Le choix du bâton devient donc crucial, requérant une combinaison d'expérience, de talent, de patience et de courage.
Après avoir terminé ces deux trous, le golfeur se retrouve face à une des normales cinq les plus connues au monde: le treizième trou. Bobby Jones s'intéressait peu aux normales cinq, comme il le disait lui-même: "You don't start playing golf until the third shot". Mais là où sa pensée est la plus évidente, c'est sans aucun doute au treizième trou, mesurant à peine 510 verges. (Incidemment, il s'agit pratiquement de la même longueur que le onzième trou, une normale 4.) Ce trou, représente à lui seul toute la philosophie d'Alister Mackenzie en matière d'architecture.  Facilement atteint en deux coups, le treizième représente une tentation intense pour tout joueur de golf. La perspective d'un aigle ou d'un oiselet est présente pour quiconque, toutefois, cela ne se fait pas sans risques. Pour atteindre le vert en deux coups, ceux-ci doivent être bien joués. Le coup de départ  idéal est frappé avec un léger effet de rotation vers la gauche, pour que la balle puisse se rapprocher le plus possible du vert en empruntant la pente naturelle du terrain descendant graduellement vers un petit ruisseau longeant la totalité du trou à sa gauche. Une balle frappée en ligne droite se retrouvera quant à elle au sommet de cette pente, possiblement entre quelques pins rendant le deuxième coup plus difficile. Peu importe où la balle est placée sur le coup de départ, le joueur se retrouve généralement avec la possibilité d'atteindre le vert avec son deuxième coup. C’est là où se pose le dilemme: le coup est risqué. D'une longueur moyenne de plus ou moins 200 verges, ce coup doit passer par-dessus le ruisseau qui coupe directement devant le vert entouré de quatre trappes de sable.  Les statistiques du parcours sont révélatrices à ce sujet. Les joueurs ayant tenté le coup et atteint le vert des pointages moyens de 4.20 coups tandis que ceux ayant raté leur coup obtiennent un pointage moyen de 5.20 coups. De l'autre côté, ceux ayant privilégié la prudence ont maintenu une moyenne de 4.85 coups. On voit tout de suite l'avantage que peut procurer le fait d'atteindre le vert en deux coups pour celui en quête de la victoire. Pourtant, un nombre relativement restreint de joueurs tentent leur chance. Ce fait est dû en grande partie au génie de Mackenzie qui, à l'aide d'obstacles, a contribué à rendre ce trou effrayant pour les golfeurs. Ceux-ci sont attirés par la possibilité d'un bon pointage, mais sont à la fois apeurés par la perspective d'un mauvais score qui est très présente sur ce trou. La stratégie du club de golf Augusta National ne se joue donc pas seulement au niveau du parcours, elle fait aussi référence à la psychologie du golfeur.
Conclusion
À chaque année, tous les meilleurs golfeurs sont  invités  à venir s'affronter sur les allées d'un des clubs de golf les plus prestigieux au monde. La beauté du parcours et la perfection de l'organisation du tournoi ont contribués à créer un mythe autour du tournoi du Masters. Au fil des ans, de grands champions s'y sont succédé. Jack Nicklaus y a remporté six tournois, dont son dernier en 1986, à l'âge de 46 ans. Il est encore aujourd'hui le "Roi" du Masters. Tiger Woods et Nick Faldo ont également stimulé l’imaginaire des golfeurs sur ce parcours en y remportant quatre et trois victoires, respectivement.  Mais de tous les joueurs y ayant laissés leurs traces en tant que grands joueurs, le premier de ceux-ci est sans aucun doute Bobby Jones, qui, à l'aide d'un des meilleurs architectes de son époque, Alister Mackenzie, a créé ce magnifique parcours.
Depuis, ce parcours a évolué; retouché à plusieurs reprises par d'autres architectes tels que Robert Trent Jones, Jack Nicklaus, aujourd'hui dans le domaine, et plus récemment Tom Fazio. Toutefois, une caractéristique demeure toujours, après tant d'années, il s'agit de la stratégie et du mystère entourant l'évolution du joueur à travers le parcours.  À chaque avril, lors du tournoi du Masters, le célèbre Augusta National fait de nouvelles victimes. Inexpérimentées ou tout simplement trop confiantes, ces victimes sont broyées par le parcours magnifique qui pourtant, réussit à les envouter au point de les faire revenir l'année suivante. C'est là, la marque d'un grand parcours de championnat, un parcours crée selon les règles de l'architecture de golf pour favoriser l'émergence des meilleurs joueurs au monde.


Note de l’architecte:
Malgré toute l’admiration et l’intérêt que suscite le parcours du Augusta National, je me dois cependant d’émettre certaines réserves quant à l’image qu’il projette à travers le monde depuis des décennies. En offrant année après année, un spectacle immaculé sur nos écrans télévisuels, les dirigeants du Club ont créé un « standard visuel » que trop de clubs nord-américains s’emploient à atteindre pour le bénéfice de leur membres, et bien souvent, à leur demande.  Le niveau de perfection visiblement atteint dans l’entretien de ce parcours hors du commun n’est possible qu’avec un budget d’entretien astronomique et une main d’œuvre imposante totalement dédiée à faire de l’endroit le plus beau parcours de golf de la planète. Il ne faut pas oublier de mentionner également, que malgré le fait qu’il soit situé dans le sud des États-Unis, le parcours est fermé aux membres une bonne partie de l’année en prévision du tournoi et pour y pratiquer un entretien soutenu et des modifications constantes.  Ceci contribue grandement à l’image de perfection véhiculée à l’écran lors du tournoi.
Bien que ce parcours soit visuellement splendide, il constitue, à mon humble avis, un exemple à ne pas suivre en vue de rendre le sport du golf plus accessible et plus en harmonie avec la nature qui l’entoure.  Il est à l’antithèse de ce que devrait viser l’industrie, soit d’offrir des parcours à l’empreinte environnementale restreinte, plus simples, accessibles à tous et à un coût raisonnable.  En pourchassant sans cesse cet idéal de perfection, les dirigeants de parcours de golf se mettent une pression intolérable sur les épaules.  De la même manière, en exigeant de tels niveaux de conditions de jeu, les golfeurs en général rendent leur sport de plus en plus dispendieux et élitiste, au détriment même du sport. Le parcours du Augusta National doit donc être apprécié pour ce qu’il est, soit une vitrine vers un rêve inaccessible, un peu à la manière de l’industrie de la mode qui nous présente sans cesse ses icônes d’une beauté parfaite et intemporelle auxquelles peu de gens peuvent réellement aspirer.  À partir du moment qu’on devient conscient de ce fait, ce parcours mythique peut être apprécié d’un nouvel angle.

Yannick Pilon Golf © 2016