Hôte du premier tournoi majeur de
l’année.
(Cliquer ici pour lire une version abrégée de cet article sur le site de Golf Martial Lapointe)
Bobby Jones: À
l'origine du chef-d’œuvre
La
journée où Bobby Jones a décidé de se faire construire un terrain de golf, tout
le monde était derrière lui. Après sa miraculeuse carrière, il pouvait bien
construire le terrain de golf au style qu'il désirait; après tout, il était le
meilleur golfeur au monde. Le monde entier se serait déplacé pour venir y
jouer, peu importe la qualité. Par contre, Bobby Jones eut la bonne idée de
faire appel à un architecte pour l'aider dans ses plans.
En
huit ans de carrière, Bobby Jones gagna plus de soixante pourcent des
championnats nationaux auxquels il participa, c'est à dire treize. En 1930, à
l'âge de vingt-huit ans, il se retira de la compétition après avoir gagné, la
même année, les championnats professionnels et amateur des États-Unis et de
l'Angleterre. C'était là un fait tellement au-delà de l'imagination qu'on ne
lui donna un nom que quelques mois plus tard: le "Grand Slam" du
golf, qui prend son origine dans le bridge, jeu populaire à l'époque.
La
retraite de Bobby Jones laissa ses fans en suspens. En effet, son talent était
maintenant reconnu mondialement et plusieurs espéraient le revoir jouer. Malgré
cela, Jones refusa de participer aux plus grands tournois, préférant ainsi
s'attaquer à son rêve. Ce rêve, ce fut le Augusta National Golf Club, le terrain
de golf le plus fameux des États-Unis, possiblement le meilleur, et pour une
certaine période à chaque année, le plus bel endroit de golf dans le monde
entier.
L'architecte
qu'il avait choisi pour l'aider à accomplir son rêve était nul autre que
l'écossais Alister Mackenzie qui venait de concevoir un des chefs-d’œuvre de
l'époque, le Cypress Point Club à Pebble Beach, en Californie. Mackenzie était
un médecin de l'armée anglaise qui laissa peu à peu sa pratique pour travailler
à temps plein en architecture de golf. En 1914, il remporta le concours du
magazine Country life pour le meilleur design d'une normale 4 devant
être construite au Lido Golf Club à Long Island, New York. Cette compétition
lui amena beaucoup de publicité des deux côtés de l'Atlantique et contribua à
le faire connaître dans le monde entier.
Lors
de ses missions durant la guerre des Boers, Mackenzie observa que
l'architecture de golf, comme le camouflage, dépendait de la manière que l'on
utilisait les éléments naturels à leur avantage et de la manière qu'on les
recréait, c'est à dire le plus fidèlement possible. Il utilisa par la suite ses
propres principes d'architecture pour la planification du parcours de Cypress
Point. C'est ce parcours qui attira l'attention de Bobby Jones qui cherchait
alors un architecte pour l'aider à la conception de son parcours de rêve.
En
Mackenzie, Jones n'aurait pas pu trouver meilleur partenaire pour son aventure,
en particulier pour la parcelle de terre qu'il avait choisie pour établir son
parcours. Celle-ci était située sur des collines plantées d'arbres fruitiers et
de fleurs; le genre de scène qu'un autre architecte aurait ruiné pour
construire un bon trou, ou à l'opposé, l'aurait préservée en y construisant un
mauvais trou. Le talent d'Alister Mackenzie pour conserver les aspects naturels
d'un terrain avait d'ailleurs été montré au spectaculaire Cypress Point Club.
Il était donc très prometteur de voir un architecte capable de tailler un
parcours dans les endroits les plus spectaculaires, joindre son talent à celui
du meilleur joueur de l'époque, disposé à le renseigner sur les aspects plus
stratégiques du jeu.
Historique
du club
Comme
la plupart des meilleurs terrains de golf aux États-Unis, le Augusta National
n'est pas situé dans un grand centre métropolitain. En effet, la ville d'Augusta
en Georgie est principalement une ville historique réputée pour le Cotton
Exchange et ses attraits sur les rives de la rivière Savannah. Bobby Jones,
originaire d'Atlanta, venait y passer ses vacances et c'est en cet endroit
qu'il rencontra sa femme ainsi que Clifford Roberts, un homme d'affaires
new-yorkais.
Peu
après sa retraite, Jones exprima à Clifford Roberts son désir de fonder un club
de golf où ses amis et lui pourraient se retrouver pour jouer ensemble.
Roberts, qui avait la bonne habitude de savoir quand acheter et quand vendre
les choses, avait entendu parler d'une pépinière reconnue à vendre dans la
région d'Augusta. Celle-ci avait-été la propriété de la famille du baron belge,
Louis Édouard Mathieu Berkmans, depuis plus de trois quarts de siècle. Le fils
de ce dernier, Prosper, était d'ailleurs un horticulteur reconnu pour avoir,
entre autres, popularisé la culture des azalées dans le sud des États-Unis. Cet
endroit était presque parfait pour le projet de Jones. Il possédait les
collines que le golfeur voulait pour capturer l'esprit, et non le copier, des
fameux « Links » des îles britanniques. En plus de cet atout majeur,
le terrain possédait une flore extrêmement diversifiée de même qu'une bonne
quantité d'arbres majestueux entre lesquels on pourrait faire circuler les
trous. Le tout, dominé par une colline sur laquelle se trouvait un hôtel datant
d'avant la guerre civile américaine. Bobby Jones ne chercha plus, il avait
trouvé ce qu'il recherchait.
Ainsi,
le rêve de Jones commença à prendre forme en juin 1931 lorsque lui et ses amis
achetèrent la propriété que l'on nommait alors "The Fruitlands". Par
contre le financement se fit difficilement; depuis le crash de 1929 à la bourse
de New-York, les terrains de golf fermaient en grand nombre et l'ouverture de
nouveaux parcours semblait risquée pour les investisseurs. Mais Bobby Jones
était tenace. Pour l'aider dans son projet, il rechercha l'aide d'un
architecte. Même si durant cette période, Donald Ross était reconnu pour ses
parcours de championnats tel Pinehurst #2 en Caroline du Nord, il était évident
pour Jones que Mackenzie serait son architecte.
Après
plusieurs discussions, on s'entendit pour créer un parcours qui plairait au
plus grand nombre de joueurs, peu importe leur habileté au jeu. Ensuite,
Mackenzie fit les plans de base pour l'agencement des trous sur le parcours.
Durant le stage de la conception du parcours, Jones contribua au design en
effectuant un nombre incalculable de coups de toutes sortes, prenant en note
tous les résultats pour ensuite modifier les verts et les allées en
conséquence. En 1932, Mackenzie vint faire une dernière inspection du site
avant que celui-ci soit ensemencé et il déclara: "Augusta National
represented my best opportunity and, I believe, my finest achievement."
Malheureusement, il n'eut jamais la chance de voir le résultat final. Après un
voyage en Écosse en 1933, il revint malade à sa demeure de Californie où il
mourût en janvier 1934.
Peu
après l'ouverture, Roberts proposa que le club invente un tournoi pour que les
meilleurs joueurs se côtoient. Il proposa de l'appeler "The Masters
Tournament". Jones aima l'idée mais
détesta le nom, le jugeant trop présomptueux. C'est donc ainsi que l'on tînt,
en 1934, le premier "Augusta National Invitation Tournament". Ce nom
ne dura pas les quatre jours que durèrent le tournoi; les journalistes ayant eu
vent du nom "Masters", ils décidèrent de l'adopter.
Sous
la présidence de Clifford Roberts, le Masters est vite devenu un des meilleurs
tournois de golf au monde. À chaque année, des innovations ont fait qu'un
passage à Augusta était un des moments les plus attendus de la part des
spectateurs, des journalistes, et des compétiteurs. Des panneaux d'affichage
des meneurs, des endroits privilégiés pour les spectateurs, des « marshalls »
avec des uniformes, des espaces de stationnements gratuits et des
rafraîchissements à prix abordables, tous ces éléments sont devenus des marques
de commerce du Masters, tout comme la tradition du veston vert remis au gagnant
de la classique à chaque année.
L'élément
le plus important qui contribua à élever le Masters au sommet des tournois de
golf professionnels est sans aucun doute le parcours. Durant les cinquante
dernières années, le club de golf Augusta National a été modifié à plusieurs reprises;
quelquefois de grosses modifications, d'autres fois minimes, mais
fondamentalement, il est demeuré le test que Bobby Jones et Alister Mackenzie
ont créé. Un test superbement stratégique qui est probablement encore
aujourd'hui l’un des parcours qui fait le plus appel à l'intelligence d'un
joueur de ce côté-ci de l'atlantique.
Les principes de
design du parcours
Qu'est
ce qui fait du parcours d’Augusta National un parcours si fameux? Le principal
attrait est probablement le fait qu'il est extrêmement stratégique. Un des
moins évidents à négocier parmi les parcours de championnats d'Amérique, égalé
uniquement, peut-être, par le « Old Course » à St-Andrews.
Comme
tous les bons terrains de golf, Augusta National doit être joué mentalement à
partir du vert jusqu'au tertre de départ avant qu'un seul coup soit effectué.
Comme les verts sont si rapides, trois coups roulés sont souvent réalisables,
peu importe le placement du drapeau sur ceux-ci. La force d'un coup dirigé vers
le vert doit être bien jugée et la direction parfaite, sinon, la balle fera des
bons inattendus et s'éloignera peut-être du drapeau, faisant ainsi de trois
coups roulés, une réalité bien présente. S'approcher le plus près possible du
trou n'étant pas toujours ce qu'il y a de plus facile pour obtenir une normale
mais souvent la meilleur manière, l'angle d'approche au vert prend alors une
grande importance. Le joueur se doit alors de placer judicieusement sa balle
dans l'allée; fait qui n'est pas nécessairement facile quand celles-ci sont parfois
immensément larges et dépourvues d'obstacles. Ainsi, pour une des premières
fois dans l'histoire du golf, les golfeurs font face à un grand challenge: pour
bien jouer, chaque coup doit être parfait.
Cela
se traduit de plusieurs manières au Augusta National. Un coup en plein centre
de l'allée n'est peut-être pas parfait, aussi étrange que cela puisse paraître.
En effet, à chaque trou, la stratégie est différente; la balle doit être placée
en certains endroits stratégiques pour permettre les opportunités au golfeur.
Deux parties bien
différentes
Un
des plus grands clichés du golf est celui qui dicte que "Le Masters
commence sur le deuxième neuf le
dimanche après-midi." Il est vrai que le tournoi se termine sur neuf trous excitants, mais ce cliché a contribué à
mettre dans l'ombre les neufs premiers trous du chef-d’œuvre de Jones et
Mackenzie. Le Masters est le seul tournoi majeur à se dérouler, année après
année, sur le même parcours. Pourtant, le premier neuf est inconnu de la
plupart des spectateurs de la télévision. Toutefois, cela n'aurait pas été le
cas si Bobby Jones n'avait pas inversé les deux neufs à l'aube du tournoi. En
effet, lors du premier Masters, les participants commençaient leurs rondes sur
le dixième trou et finissaient sur le vert du présent neuvième. Heureusement,
l'expérience ne dura qu'un an; Bobby Jones réalisant que les trous onze, douze
et treize, prénommés "Amen Corner", présentaient un attrait qui
méritait d'être retrouvé dans le deuxième neuf, et non au début du parcours. Son
intuition lui disait que la décision de tenter d'atteindre les normales cinq
(au treizième et quinzième trou) en deux longs coups au-dessus de l'eau devrait
être confrontée à la fin d'une ronde, où la tension est à son comble. Enfin, il
désirait de plus un dix-huitième trou nécessitant un long deuxième coup plutôt
que le petit coup d'approche que nécessitait le neuvième trou. Pourtant, dans
les faits, le premier neuf d'aujourd'hui est plus difficile que son successeur.
Sur
la carte de pointage, les deux neufs semblent pourtant être en parfait
équilibre: tous les deux avec une normale de 36, deux normales trois, deux
normales cinq et cinq normales quatre. Le premier neuf mesure 3725 verges, le
deuxième, 3710 verges. Mais la carte peut être trompeuse. Il n'y a pas
d'obstacles d'eau en jeu sur les neuf premiers trous tandis que sur les neuf
derniers, rivières et étangs menacent le golfeur sur cinq trous. Pourtant, le
premier neuf, quoi que moins spectaculaire, n'en est pas moins difficile.
Un
nombre de principes fondamentaux de design ont été appliqués dans l'élaboration
du premier neuf. Les trous changent constamment de direction, exposant le
joueur à des vents venant de tous les côtés. Chaque trou est suivi d'un trou de
normale différente (4-5-4-3-4-3-4-5-4) et le mélange est bien balancé: deux
normales trois (une longue et une courte), deux normales cinq (les deux
atteignables avec deux bons coups), et cinq normales quatre (une courtes, deux
raisonnablement longues et une très longue).
Le
deuxième neuf propose un tout autre caractère. À chaque année, c'est à cet
endroit que tout se joue. Plus facile que le premier, le deuxième neuf peut
néanmoins causer un tort certain à quiconque le prend à la légère. Avec ses
deux normales trois diaboliques, deux normales cinq à couper le souffle et une
série de normales quatre stratégiques, cette partie du parcours est la plus
célèbre des États-Unis. C'est pourquoi la plupart de ses trous seront étudiés
plus en détail dans la prochaine partie.
Les
éléments du design
"The Augusta National is a golf club that looks
as if it dropped out of heaven" Un journaliste, Grand Slam Golf, 1991
Les verts: un cauchemar bien réel
Il
n'y a pas un endroit au monde où la précision est plus importante qu'à Augusta.
À cause que ses larges verts sont extrêmement rapides et offrent énormément de
changements de niveaux, les cibles sont beaucoup plus petites que ce que l'on
pourrait croire. En plusieurs cas, et spécialement pour les placements de
drapeaux les plus difficiles, les cibles à atteindre pour avoir une chance
raisonnable de birdies sont d'environ
trente pieds carrés. Même pour les meilleurs joueurs au monde, cela est petit.
Tellement petit qu'en 1994, plusieurs joueurs se sont plaint que certaines
positions de drapeaux étaient injouables. Voyons voir comment cela se traduit
sur le quatorzième trou.
Le
vert du quatorzième est certainement le plus craint de tout le parcours. Sa
grande difficulté réside dans le fait qu'il soit construit dans une pente
abrupte de gauche à droite créant ainsi une série de trois plateaux situés au
fond du vert. Ces plateaux sont de plus protégés par une pente descendante vers
l'allée où les balles peuvent prendre tellement de vitesse qu'elles y
redescendent. La position du drapeau la plus difficile est celle au fond, en
haut à gauche sur le plateau supérieur qui se trouve à être une butte au sommet
aplati. Ainsi toute balle frappée avec la moindre erreur est confrontée à se retrouver
très loin du drapeau, quand ce n'est pas hors du vert, à proprement parler. À
chaque année, plusieurs espoirs sont brisés par ce vert qui fait peur aux
meilleurs joueurs au monde. Pourtant, ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres,
tous les verts à Augusta étant reconnus comme étant parmi les plus difficiles à
négocier au monde.
Les ondulations: les hauts et les bas
du Augusta National
La
plus grande surprise des joueurs lorsqu'ils se présentent pour la première fois
à Augusta se situe au niveau de la topographie. En effet, sur le parcours, tout
est en pente. Il est d'ailleurs tellement en pente que jouer sa balle sur la
mauvaise partie de l'allée peut parfois résulter en une différence de quatre
bâtons pour le coup suivant. Entre le chalet et le vert du douzième trou, il y
a une différence de niveau de 165 pieds, soit l'équivalent de seize étages. De
telles ondulations ne feraient pas sourciller un skieur, mais pour un golfeur,
par contre, c'est du sérieux. Sur chaque trou, le joueur est confronté à toutes
sortes de coups différents à cause des pentes qui jalonnent le parcours d'un
bout à l'autre. Le meilleur exemple est sans aucun doute le dixième trou. D'une
longueur de 495 verges, cette normale 4 offre une descente de 100 pieds entre
le tertre de départ et le devant du vert. L'allée est en pente continuelle vers
le vert mais elle se divise en deux parties à 235 verges du départ: à gauche,
la pente devient plus abrupte jusqu'à un endroit plus plat tandis qu'à droite,
elle reste constante jusqu'au vert. Ainsi, le joueur qui parvient à placer sa
balle du côté gauche peut faire tomber sa balle dans la pente abrupte pour la
faire rouler plus longtemps et ainsi se retrouver avec un deuxième coup
beaucoup plus court vers le vert.
L'eau: la différence entre le héros
et le perdant
L'eau
n'est pas présente en grande quantité mais elle influence certainement la stratégie
du parcours sur le deuxième neuf. Présente sur cinq trous, elle est à l'origine
de plusieurs malheurs chez les golfeurs. Elle sera traitée en détail pour les
trous 11, 12 et 13 mais elle est aussi bien présente au seizième trou.
Le
seizième a été complétement transformé en 1947 lorsqu'on demanda à Robert Trent
Jones de le redessiner. D'une normale 3 de 120 verges au-dessus d'un ruisseau,
on le transforma en normale 3 de 170 verges au-dessus d'un étang. Aujourd'hui
avec le vert en pente descendante vers l'étang, le joueur doit non seulement
éviter l'eau sur son coup de départ, il doit aussi en tenir compte si sa balle
a le malheur de se retrouver au sommet
de cette pente. Celle-ci est si forte qu'un coup mal exécuté risque de rouler
jusqu'à l'eau.
Les fosses de sable: la qualité et
non la quantité
Le
parcours du Augusta National ne possède que 45 fosses de sable, ce qui est
relativement peu pour un parcours de championnat. (Par opposition, le parcours
anglais Royal Lytham & St Annes, hôte de huit prestigieux British Open,
possède plus de 220 fosses de sables....) Toutefois, Alister Mackenzie savait
bien les utiliser pour intimider les joueurs et les forcer à bien négocier le
parcours.
Cette
intimidation commence d'ailleurs dès le premier trou, une normale 4 de 400
verges protégée de deux immenses fosses de sable. La première, située du côté
droit de l'allée, force tous les joueurs, sauf les plus gros cogneurs, à jouer
leur coup de départ du côté gauche de l'allée. Mais cette prévoyance est
pénalisée: le joueur doit ensuite frapper sa balle par-dessus l'autre trappe
située du côté gauche du petit vert, perché sur le point le plus haut de la
propriété. Le septième trou est aussi bien protégé avec ses cinq fosses qui
protègent le petit vert surélevé.
De
plus, on n'hésite pas à ajouter des éléments sur le parcours lorsque la
situation l'exige. En 1966, on ajouta deux fosses à gauche de l'allée au
dix-huitième, un monstre de 405 verges dans une pente ascendante d'un bout à
l'autre. Cette idée vint de Clifford Roberts qui avait pour but de stopper le
jeune Jack Nicklaus avec ses coups de départs très longs pour l'époque.
L'addition des fosses permit de réduire la largeur de l'allée à 30 verges et
contribua à réduire les ardeurs des joueurs qui choisissent maintenant d'opter
pour la précision par rapport à la puissance. Plusieurs changements de ce type
ont d’ailleurs été mis en place depuis la première victoire de Tiger Woods sur
le parcours en 1998, alors qu’il avait pulvérisé la compétition avec douze coups
d’avance sur son plus proche poursuivant!
La végétation: le charme de l'endroit
Le
fait que le parcours du Augusta National ait été construit sur une ancienne
pépinière contribue à l'immense variété horticole de l'endroit. Depuis son
ouverture officielle, les arbres majestueux n'ont cessé de se développer pour
produire un des plus beaux endroits en Amérique. Cette variété se retrouve
d'ailleurs sur la carte de pointage des joueurs. En effet, chaque trou possède
un nom caractéristique qui l'identifie à l'espèce végétale qui l'entoure. Le
meilleur exemple est représenté par le treizième trou, surnommé « Azalea »,
qui en avril, lors de la présentation du Masters, est entièrement fleuri.
Le
parcours du Augusta National a longtemps été reconnu pour ses allées
extrêmement larges et dépourvues d'obstacles; bien que ce ne soit plus le cas
depuis quelques années, le septième trou a toujours fait exception à la règle. Autrefois
court mais aujourd’hui d'une longueur de 450 verges, l’allée de ce trou est bordée
d'arbres immenses pénalisant tous les coups sauf les meilleurs pour ensuite
monter jusqu'au vert, d'à peine quinze verges de profondeur et entouré de
caverneuses fosses de sable. La végétation possède donc deux fonctions à
Augusta: la décoration et l'intimidation.
Stratégie:
Le “Amen Corner”
Le
point tournant à Augusta, où tout semble se jouer à chaque année lors du
Masters, est situé au début du deuxième neuf, plus particulièrement les trous
onze, douze et treize, communément appelés "The Amen Corner".
Ces trois trous sont parmi les plus beaux et les plus stratégiques au monde.
Ils peuvent aisément faire la différence entre la gloire d'un golfeur, ou sa
déchéance, son effondrement.
Le
tout commence au onzième trou, une longue normale 4 de 505 verges. Le coup de
départ se fait en montant sur un plateau surélevé et encadré d'immenses arbres.
L'allée plonge alors vers un grand vert protégé à l'avant gauche par un petit
étang. Le vert est en pente vers l'étang et il est protégé par deux petites fosses
de sable situées à l'arrière. De plus, à la droite du vert, on retrouve deux
bosses qui empêchent les joueurs de faire des coups d'approches du type "bump-and-run".
La stratégie à adopter pour le trou dépend en tout point de la position du
drapeau sur le vert. Si le drapeau est au fond à gauche, derrière l'étang, le
coup de départ doit être placé à droite de l'allée pour favoriser l'entrée au
vert sans avoir à affronter l'eau. Si au contraire, il est à l'avant droite du
vert, le coup de départ doit être placé à gauche de l'allée pour éliminer les
bosses du jeu. Un coup de départ raté ne signifie pas la fin du monde, mais il
sera sans doute la source de nombreux problèmes au coup suivant.
Le
douzième trou, est selon Jack Nicklaus, le plus grand golfeur de tous les
temps, le trou le plus difficile qu'il ait eu à affronter dans un tournoi.
Cette petite normale trois de 155 verges cause à chaque année le désespoir de
plusieurs golfeurs, ainsi que des scores s'élevant jusqu'à treize coups dans le
cas de Tom Weiskopf, en 1982. Inutile de dire que c'est une menace.
Premièrement, le Rae's Creek entre en jeu, protégeant le devant entier du
minuscule vert profond d'à peine vingt-sept pieds. Trois trappes de sable
viennent aussi protéger le vert, en pente abrupte vers la rivière. Et enfin, le
dernier obstacle mais non le moindre, le vent. Celui-ci change constamment de
direction et produit des effets bizarres sur la balle lorsqu'elle s'envole à
travers la plaine ouverte de gazon la séparant du vert. Le choix du bâton
devient donc crucial, requérant une combinaison d'expérience, de talent, de
patience et de courage.
Après
avoir terminé ces deux trous, le golfeur se retrouve face à une des normales
cinq les plus connues au monde: le treizième trou. Bobby Jones s'intéressait
peu aux normales cinq, comme il le disait lui-même: "You don't start
playing golf until the third shot". Mais là où sa pensée est la plus
évidente, c'est sans aucun doute au treizième trou, mesurant à peine 510
verges. (Incidemment, il s'agit pratiquement de la même longueur que le onzième
trou, une normale 4.) Ce trou, représente à lui seul toute la philosophie
d'Alister Mackenzie en matière d'architecture.
Facilement atteint en deux coups, le treizième représente une tentation
intense pour tout joueur de golf. La perspective d'un aigle ou d'un oiselet est
présente pour quiconque, toutefois, cela ne se fait pas sans risques. Pour
atteindre le vert en deux coups, ceux-ci doivent être bien joués. Le coup de
départ idéal est frappé avec un léger
effet de rotation vers la gauche, pour que la balle puisse se rapprocher le
plus possible du vert en empruntant la pente naturelle du terrain descendant
graduellement vers un petit ruisseau longeant la totalité du trou à sa gauche.
Une balle frappée en ligne droite se retrouvera quant à elle au sommet de cette
pente, possiblement entre quelques pins rendant le deuxième coup plus
difficile. Peu importe où la balle est placée sur le coup de départ, le joueur
se retrouve généralement avec la possibilité d'atteindre le vert avec son
deuxième coup. C’est là où se pose le dilemme: le coup est risqué. D'une
longueur moyenne de plus ou moins 200 verges, ce coup doit passer par-dessus le
ruisseau qui coupe directement devant le vert entouré de quatre trappes de
sable. Les statistiques du parcours sont
révélatrices à ce sujet. Les joueurs ayant tenté le coup et atteint le vert des
pointages moyens de 4.20 coups tandis que ceux ayant raté leur coup obtiennent
un pointage moyen de 5.20 coups. De l'autre côté, ceux ayant privilégié la
prudence ont maintenu une moyenne de 4.85 coups. On voit tout de suite
l'avantage que peut procurer le fait d'atteindre le vert en deux coups pour
celui en quête de la victoire. Pourtant, un nombre relativement restreint de
joueurs tentent leur chance. Ce fait est dû en grande partie au génie de
Mackenzie qui, à l'aide d'obstacles, a contribué à rendre ce trou effrayant
pour les golfeurs. Ceux-ci sont attirés par la possibilité d'un bon pointage,
mais sont à la fois apeurés par la perspective d'un mauvais score qui est très
présente sur ce trou. La stratégie du club de golf Augusta National ne se joue
donc pas seulement au niveau du parcours, elle fait aussi référence à la
psychologie du golfeur.
Conclusion
À
chaque année, tous les meilleurs golfeurs sont
invités à venir s'affronter sur
les allées d'un des clubs de golf les plus prestigieux au monde. La beauté du
parcours et la perfection de l'organisation du tournoi ont contribués à créer
un mythe autour du tournoi du Masters. Au fil des ans, de grands champions s'y
sont succédé. Jack Nicklaus y a remporté six tournois, dont son dernier en
1986, à l'âge de 46 ans. Il est encore aujourd'hui le "Roi" du
Masters. Tiger Woods et Nick Faldo ont également stimulé l’imaginaire des
golfeurs sur ce parcours en y remportant quatre et trois victoires,
respectivement. Mais de tous les joueurs
y ayant laissés leurs traces en tant que grands joueurs, le premier de ceux-ci
est sans aucun doute Bobby Jones, qui, à l'aide d'un des meilleurs architectes
de son époque, Alister Mackenzie, a créé ce magnifique parcours.
Depuis,
ce parcours a évolué; retouché à plusieurs reprises par d'autres architectes
tels que Robert Trent Jones, Jack Nicklaus, aujourd'hui dans le domaine, et plus
récemment Tom Fazio. Toutefois, une caractéristique demeure toujours, après
tant d'années, il s'agit de la stratégie et du mystère entourant l'évolution du
joueur à travers le parcours. À chaque
avril, lors du tournoi du Masters, le célèbre Augusta National fait de
nouvelles victimes. Inexpérimentées ou tout simplement trop confiantes, ces
victimes sont broyées par le parcours magnifique qui pourtant, réussit à les
envouter au point de les faire revenir l'année suivante. C'est là, la marque
d'un grand parcours de championnat, un parcours crée selon les règles de
l'architecture de golf pour favoriser l'émergence des meilleurs joueurs au
monde.
Note de
l’architecte:
Malgré toute
l’admiration et l’intérêt que suscite le parcours du Augusta National, je me
dois cependant d’émettre certaines réserves quant à l’image qu’il projette à
travers le monde depuis des décennies. En offrant année après année, un
spectacle immaculé sur nos écrans télévisuels, les dirigeants du Club ont créé
un « standard visuel » que trop de clubs nord-américains s’emploient
à atteindre pour le bénéfice de leur membres, et bien souvent, à leur demande. Le niveau de perfection visiblement atteint dans
l’entretien de ce parcours hors du commun n’est possible qu’avec un budget
d’entretien astronomique et une main d’œuvre imposante totalement dédiée à
faire de l’endroit le plus beau parcours de golf de la planète. Il ne faut pas oublier
de mentionner également, que malgré le fait qu’il soit situé dans le sud des
États-Unis, le parcours est fermé aux membres une bonne partie de l’année en
prévision du tournoi et pour y pratiquer un entretien soutenu et des
modifications constantes. Ceci contribue
grandement à l’image de perfection véhiculée à l’écran lors du tournoi.
Bien que ce parcours
soit visuellement splendide, il constitue, à mon humble avis, un exemple à ne
pas suivre en vue de rendre le sport du golf plus accessible et plus en
harmonie avec la nature qui l’entoure.
Il est à l’antithèse de ce que devrait viser l’industrie, soit d’offrir
des parcours à l’empreinte environnementale restreinte, plus simples,
accessibles à tous et à un coût raisonnable.
En pourchassant sans cesse cet idéal de perfection, les dirigeants de
parcours de golf se mettent une pression intolérable sur les épaules. De la même manière, en exigeant de tels
niveaux de conditions de jeu, les golfeurs en général rendent leur sport de
plus en plus dispendieux et élitiste, au détriment même du sport. Le parcours
du Augusta National doit donc être apprécié pour ce qu’il est, soit une vitrine
vers un rêve inaccessible, un peu à la manière de l’industrie de la mode qui
nous présente sans cesse ses icônes d’une beauté parfaite et intemporelle
auxquelles peu de gens peuvent réellement aspirer. À partir du moment qu’on devient conscient de
ce fait, ce parcours mythique peut être apprécié d’un nouvel angle.
Yannick Pilon Golf ©
2016
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