jeudi 6 avril 2017

Augusta National - Un idéal à atteindre ou un exemple à proscrire?

Chaque année, le Tournoi des Maîtres marque en quelque sorte le début de la saison de golf en Amérique du Nord.  Bien que celle-ci soit démarrée officiellement depuis le mois d’octobre dernier sur le PGA Tour avec une série de tournois de moindre envergure un peu partout dans le monde, en Californie, en Arizona et en Floride, ce n’est que lorsque le Tournoi des Maîtres se met en branle que l’intérêt pour le golf renait réellement.  C’est particulièrement le cas ici au Québec, alors que la neige fond de plus en plus et que les journées allongent rapidement!
L’intérêt que suscite le Tournoi des Maîtres vient de plusieurs facteurs : le fait que ce soit le premier tournoi majeur de la saison, son historique, ses grands champions et l’aura de mystère qui plane sur ce club de golf mythique et fort élitiste. Cependant, ce qui stimule à mon avis le plus les golfeurs, c’est le parcours et toute la beauté et la sérénité qui en émanent. Alors qu’une grande partie de la population de l’Amérique du Nord range encore ses pelles, ses skis et ses pneus d’hiver, le spectateur est soumis à des images pittoresques des plus spectaculaires : des allées vertes et immaculées, une végétation dense et luxuriante, des arbustes en fleur, des sous-bois clairsemés et propres, des étangs d’un bleu étincelant. La nature dans toute sa splendeur, et toute son… artificialité, quoi!
La dernière phrase en surprendra plusieurs. D’autres, j’en suis certain, ne sont pas dupes par rapport à la qualité du décor enchanteur qui leur est offert, digne des meilleures productions hollywoodiennes.  C’est que, effectivement, ce sont les ressources quasi inépuisables dont dispose ce parcours qui rendent possible ce spectacle à grand déploiement. Ainsi, malgré toute l’admiration et l’intérêt que suscite le parcours d'Augusta National avec ses verts diaboliques et ses trous stratégiques, je me dois cependant d’émettre certaines réserves quant à l’image qu’il projette à travers le monde depuis des décennies. En tant qu’architecte, je suis autant fasciné par le parcours, que consterné par les dommages qu’il peut causer à l’industrie….
En offrant année après année, un spectacle immaculé sur nos écrans télévisuels, les dirigeants de ce club mythique ont créé un standard visuel que trop de clubs nord-américains s’emploient à atteindre pour le bénéfice de leurs membres, et bien souvent, à leur demande.  C’est ce que plusieurs réfèrent dans l’industrie comme étant  « l’effet Augusta ». Or, le niveau de perfection visiblement atteint dans l’entretien de ce parcours hors du commun n’est possible qu’avec un budget d’entretien astronomique et une main-d’œuvre imposante totalement dédiée à faire de l’endroit le plus beau parcours de golf de la planète lors de la tenue du tournoi.
Par ailleurs, plusieurs autres facteurs dont rêvent surement plusieurs surintendants de parcours contribuent à faciliter la tâche d’entretenir ce parcours hors du commun. Bien qu’il soit situé dans le sud des États-Unis, le parcours est fermé à ses membres plusieurs semaines avant le tournoi et une grande partie de l’été pour y pratiquer un entretien soutenu visant à le protéger des températures chaudes et humides de la région.  Aussi, les voiturettes n’y sont pas admises et la marche est le seul moyen de fréquenter le parcours.  Que dire également du fait que, même lorsqu’il est ouvert aux membres, il n’est pas rare de n’y voir que quelques quatuors par jour.
D’autres facteurs agronomiques ou reliés à l’entretien ne sont pas à négliger non plus. Plusieurs verts du parcours sont munis d'un système d’aération souterrain permettant un contrôle minutieux du drainage, de la température et de l’humidité des verts.  Le parcours entier est également équipé d’un système d’arrosage offrant une couverture parfaite et complète de toutes ses installations. Une seule vue à vol d’oiseau du parcours sur Google Maps en comparaison à ses environs immédiats parviendront à convaincre à quel point ce système est efficace. Un accès à la machinerie dernier cri et aux meilleurs gradués des écoles d’agronomie simplifie aussi le travail des responsables du Club. À Augusta, il n’y a aucun problème de recrutement de main-d’œuvre qualifiée et motivée, contrairement à la situation de la majorité des clubs de golf du Québec. Quel surintendant ne rêve pas de telles conditions pour pratiquer son art?
Un autre élément dont on discute annuellement en vue du tournoi est la propension du Club à modifier le parcours pratiquement chaque année en vue de protéger sa réputation face à l’assaut de golfeurs professionnels de plus en plus puissants et performants.  Aucun trou n’a été épargné au fil des années. D’ailleurs, la revue Golf Digest a répertorié cette année l’ensemble des modifications réalisées sur chacun des trous depuis l’ouverture du Club en 1933.  La lecture de ces données est fascinante et démontre clairement la volonté du Club à lutter contre les changements technologiques des dernières décennies faisant des golfeurs de véritables machines. Reconstruction de verts, allongements de trous continuels, rétrécissements d’allées grâce à la plantation d’arbres matures modifiant de manière immédiate la largeur des corridors, introduction d’herbe longue pour ralentir les coups de départ jugés trop longs, etc. Aucune dépense n’est jugée trop importante et aucune avenue n’est laissée inexplorée pour faire en sorte que les records des joueurs puissent être préservés, et non pas battus, donnant ainsi l’impression que le parcours est trop facile. L’achat de terrains avoisinants est même utilisé pour agrandir le parcours ou améliorer l’expérience des spectateurs et journaliste lors de la tenue du tournoi. Nul doute que l’architecte initial du parcours - le grand Alister MacKenzie - se retournerait surement dans sa tombe devant l’ampleur des modifications apportées à son œuvre au fil des années. Tellement qu’il ne reconnaîtrait plus certains trous!
Bien que ce parcours soit visuellement splendide et fascinant d’un point de vue architectural, il constitue, à mon humble avis et à plusieurs égards, un exemple à ne pas suivre en vue de rendre le sport du golf plus accessible et plus en harmonie avec la nature qui l’entoure.  Il est à l’antithèse de ce que devrait viser l’industrie du golf pour assurer sa survie à court, moyen et long-terme, soit d’offrir des parcours à l’empreinte environnementale restreinte, plus simples, accessibles à tous et à un coût raisonnable. Et que dire des politiques du Club dont le membership a été longtemps fermé aux femmes et aux minorités visibles? Elles sont encore loin de contredire les détracteurs du sport qui le considèrent comme rétrograde et d’une autre époque.
En pourchassant sans cesse l’idéal de perfection que représente Augusta National, les dirigeants de parcours de golf d’ici et d’ailleurs se mettent une pression intolérable sur les épaules.  De la même manière, en exigeant de tels niveaux de conditions de jeu, les golfeurs en général rendent leur sport de plus en plus dispendieux et élitiste, à son propre détriment. Le parcours du Augusta National doit donc être apprécié pour ce qu’il est, soit une vitrine vers un rêve inaccessible, un peu à la manière de l’industrie de la mode qui nous présente sans cesse ses icônes d’une beauté parfaite et intemporelle auxquelles peu de gens peuvent réellement aspirer.
À partir du moment qu’on devient conscient de ce fait, ce parcours mythique peut être apprécié d’un nouvel angle. Ceci étant dit, malgré mes opinions partagées sur le Club et son parcours, je serai au rendez-vous au cours du weekend qui vient, car ce tournoi est unique à l’échelle planétaire et toujours riche en émotions et rebondissements.
Mais de grâce, je vous en prie, la prochaine fois que vous croiserez votre surintendant et son équipe, remerciez-les donc chaleureusement pour les miracles qu’ils réussissent à accomplir année après année avec des budgets souvent décroissants et des changements climatiques déstabilisants, au lieu de leur demander quand votre parcours aura l’air d’Augusta National.  Ils vous en seront sans doute très reconnaissants!

Pour un article intéressant sur la tentative du Club d’acheter un terrain voisin au parcours : Cliquez-ici.
Pour un article sur tous les changements sur le parcours depuis son ouverture : Cliquez-ici.
Yannick Pilon Golf © 2017

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire